Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.
Curieuse entrée en matière que cette Ode à Cassandre…mais s’agissant de création et d’évolution humaine, ces roses de la Fondation Bodmer en ont évoqué une autre si propre à notre destinée autant qu’à la journée très particulière que je m’apprête à partager!
Dans le cadre des célébrations du bicentenaire d’un roman à la renommée planétaire, précurseur d’une longue lignée (même si le Golem constitue l’une des origines probables à son émergence) j’ai eu l’immense chance d’assister samedi 11 juin 2016 à la savoureuse conférence de Michel Serres à l’invitation des Fondations Bodmer.
L’autre à la recherche scientifique…Toutes deux merveilleusement postées sur la rive gauche du Léman en fête à l’occasion de la 78ème édition du Bol d’or se sont unies autour de la commémoration de ce bicentenaire.
Cette demi-journée a débuté par une visite de l’exposition Frankenstein créé des ténèbres alors que le Bol d’Or prenait son envol…
…Et que nous était génialement contée par Nicolas Ducimetière cette fameuse veillée à la Villa Diodati qui eut lieu à la suite de l’initiative de la demi-sœur de Mary Shelley, fille de la seconde épouse de père de celle ci, Clare Clairmont, qui poursuivait son amant volage, Byron, de ses assiduités .
Et après l’hôtel de Sécheron, les Shelley ayant séduit Byron déménagèrent à la sublime Villa Diodatti. Seulement, contrairement à notre magnifique mois de juin 2016, celui de deux siècles plus tôt fut sinistre, un volcan indonésien ayant été saisi d’une frénésie qui tempéra fortement l’atmosphère. Pas de sortie en bateau ni d’excursion alpestre….voilà notre joli petit gratin littéraire….lors de cette fameuse nuit 🌙
au cours de laquelle Byron, Polidori
, Mary
et Percy Shelley
se lancèrent un défi littéraire dont Frankenstein, Prométhée Moderne et le Vampire de John Polidori sont les pièces maîtresses, ancêtres d’une prolifique descendance artistique dont témoigne le Musée Rath dans une exposition!
Quatre jeunes gens qui tous connurent une immense notoriété et une fin prématurée et tragique pour les hommes, tandis que la vie entière de Mary Godwin Shelley fut émaillée de deuils et querelles de famille…
Elle conçoit Frankenstein à la fleur de l’âge….ce qui m’a inspiré l’ode de Ronsard qui émaille mon propos…
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Notre arrivée à la Fondation Brocher a coïncidé avec le passage de la flottille du Bol d’Or devant Hermance et à un temps qui d’éclatant est passé à orageux…
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Tandis que débutait la conférence “avec vue” et même vision de cet immense esprit qu’est Michel Serres
éclatait un orage mémorable, mais bien moins que le remarquable survol culturel et humaniste auquel se livra ce grand monsieur.
Voici mes notes :
Remarques préliminaires de Patrick Aebischer, Président de la Fondation Brocher
Sur le propos de leur séminaire et exposition sur L’homme réinventé par la science qui se fonde sur ce que Mary Shelley a apporté à la science des enjeux humains. Qui mieux que Michel Serres, passeur entre science et littérature pour l’illustrer ?
Puis le Maître parle…
Je suis ta créature, je mériterais d’être ton Adam,
“Dit la créature à son fabricateur”
Serres replace Shelley dans son contexte historique de la fin des Lumières et du début du romantisme, dressant un intéressant parallèle entre ces deux périodes, l’une de Création (inné, fixé fixisme …peut-on l’éviter) et l’autre de Fabrication (acquis, évolutif ).
Il avoue (mais doit-on le croire ?) n’avoir lu le roman qu’à l’occasion de cette invitation, et découvert, ce faisant, l’immense richesse de l’histoire des sciences dans ce roman.
Pour Serres, le 2ème volume de la publication originelle est celui de la prise de parole de la créature :
comment il (le fabrique) ressent son commencement
“Étrange multiplicité de sensations s’empara de mon être” tout commence par l’éveil sensoriel
1) vue
2) ouïe
3) odorat
4) parole (imiter oiseaux)
j’ai tenté de l’entraîner sur la piste de l’origine du langage, et il a bien voulu se référer à Hérodote et à l’imitation par la créature de Frankenstein d’un couple qu’il épie. Sur la relation entre créature et Golem, j’ai eu moins de succès puisque mon compte ma question est restée sans réponse.
5) goûts
En lisant cette description, Serres a éprouvé
la sensation intense d’un texte qui a inspiré Shelley :
Buffon, histoires naturelles dans passage sur l’émergence de l’homme. Il y parle d’organes innés. Il possédait des mines et hauts fourneaux en Bourgogne dans lesquelles il a pétri des boules de glaise qui lui ont permis de déterminer l’âge de la terre. Or les Newtoniens ne permettaient pas de théorie de l’évolution (on parlait d’origine).
Donc Buffon “imagine” ce que va dire ce 1er homme, exactement le même texte que Shelley
Par conséquent, ce texte s’articule à l’histoire des sciences.
La référence à la statue de Condillac qui fait une statue qui s’éveille à la vie (la statue devient odeur de rose) permettant au passage cette “Petite découverte” de Serres : “Marie Shelley a avoué son inspiration (Franken Stein Pierre du Français )”
Passage de la création à la fabrication :
A la renaissance, la réflexion portait sur les origines de l’homme afin d’essayer de penser d’où vient l’homme cf Rousseau cf réflexions sur ceux à qui il manque un sens (Serres digresser délicieusement sur Braille qui a 12 ans invente un moyen de sauver du silence muets et non voyants)
Et le corolaire avec le problème de Molyneux ou (comment passer du toucher à la vue?)
Découverte de l’enfant sauvage d’Aveyron à cette même époque et même si on soupçonne aujourd’hui qu’il s’agissait plutôt d’un cas de cretinisme d’après le grand homme qui n’a pas osé dans nos lieux se prononcer sur sa provenance alpine ou non 😉
Quant à l’opposition Statue (inné / acquis) et Monstre (entièrement fabriqué). Serres estime que Statue est un très mauvais terme car au XVIIe et XVIIIe, dans Don Juan par exemple, dans l’acte V, la ” statue “du commandeur, elle sent, parle, bouge et tue Don Juan!
À l’époque, la référence était les statues mues par système hydraulique…automates…voire même un deus ex machina…robot scientifique de l’époque des lumières (terme anachronique mais revenant à cette conception )
L’évolution à l’époque signifiait progrès.
1816 est une année très intéressante, vrai début du 19ème siècle où l’ on passe des Lumières à un Sturm und Drang allemand et anglais (romantisme) donc retour vers la tradition biblique et donc le problème du mal.
Frankenstein est donc chassé du paradis car “volio una donna”: le mal (mâle), Adam de Milton
Applaudissements fournis d’un public conquis
parmi lequel j’ai retrouvé mes amis Madeleine et Robert Gurny ainsi qu’Eric et Chantal Dolker.
Perspectives :
- Aujourd’hui peur des robots, éthique
- Cf toucher dans son ouvrage sur les 5 sens (note: cf son chapitre I, Voiles)
“L’homme ne peut pas vivre seul…la femme si!” Digg reste-t-il encore pour mieux revenir au toucher: Au moment où vous êtes totalement asceptique vous devenez la proie de tous les germes !
- Autres avatars: la Venus d’Ille de Merimee
- Jules verne les Indes noires
Je suis trop vieux pour avoir peur de Frankenstein, l’homme augmenté car l’imbécile augmenté (du type Schwarzenegger) ne survivra pas 5 mn dans la jungle tandis que l’auteur tire son étymologie d’augeo… c’est lui l’homme augmenté!
Magistrale leçon d’un Maître qui est avant tout un Mentsch !
Références :
Événements Frankenstein à Genève
Ouvrages:
Frankenstein au cinéma … Notamment une ratez pas le merveilleux Frankenstein junior de Mel Brooks, ma référence préférée étant le passage sur Frau Blucher
Merci Ronsard, sans rancune car nous étions prévenues
Post-scriptum 6 mois plus tard avec l’exposition Le Retour des Ténèbres: L’imaginaire gothique depuis Frankenstein sur l’influence des œuvres de cette littérature gothique dans l’art pictural et littéraire jusqu’à nos jours.



Autres liens:
Musée Rath Dossier Pédagogique
Musée Rath Dossier des Visuels
Post-post scriptum le dimanche 2 juin, alors qu’hier nous apprenions que l’adorable penseur-passeur n’était plus. Pour dire qu’il était rare et précieux et que s’il nous a quittés, sa pensée veille encore sur notre bon sens.
Décidément l’ode à la Rose était vraiment de circonstance, hélas !
2 thoughts on “1816 16 VI 2016: Happy Birthday Frankenstein (dans les Serres de Michel)”