On entend beaucoup parler d’immigration, souvent dans le sens d’une marche vers le progrès, le fait d’avoir  quitté une vie malheureuse ou misérable pour une prospérité mythique et de plus en plus évanescente. 

On parle également d’immigration pour évoquer ces “envahisseurs” qui tentent d’imposer une culture qui nous est étrangère. 

Ce ne sont que rumeurs et on-dits…et si le merguez et le couscous ont remplacé le cassoulet dans le cœur des Français, c’est peut-être parce qu’ils ont plus de goût!

Ma grand-mère Rachel m’avait si bien décrit la ville où elle avait vécu jusqu’à ses cinquante ans que lorsque  je me suis retrouvée à Sfax à 30 ans, j’ai su d’instinct retrouver sa maison.

Je raconte souvent à mes amis une anecdote tout à fait véridique. Alors que je me trouvais avec ma mère sur le pas de la porte de l’appartement où ma mère avait habité à Sfax et qu’elle désirait que je découvre, nous avons sonné et une dame à qui ma mère a parlé en arabe nous a écoutées, puis a refermé la porte. 

Je pensais qu’elle nous avait mises dehors. Il n’en était rien, ma mère m’ayant assurée que cette femme était tout simplement allée mettre de l’ordre avant de nous recevoir. Lorsque cette dernière nous a ouvert à nouveau, elle nous a emmenées au fond de la maison sur un sofa où gisait une très vieille femme. Celle-ci s’est adressée presque exclusivement à moi (me prenant pour ma grand-mère dont j’ai hérité des yeux bleus) par le truchement de ma mère:

« Tu es ici chez toi, laisse-moi le temps de ramasser nos affaires et nous te rendons de ta maison. Elle est à toi, nous en avons pris grand soin »

J’avais trouvé cette déclaration fort touchante,  mais lorsque je l’ai rapportée à ma grand-mère qui n’avait jamais eu un mot plus haut que l’autre, en grande dame qu’elle avait toujours su être, sa réaction fusa : « Cette salope, elle m’a volé ma maison»… 

En bonne linguiste,  je sais que tout n’est que question de l’interprétation et je laisse celle-ci à votre sagacité… Je vous livre en post-scriptum l’interprétation de ma mère, Francine Masliah.

Mais si j’écris aujourd’hui ce billet c’est grâce à mon père…et à ma mère qui n’y est sûrement pas pour rien!

Si Paris est la ville de mon enfance, la ville de ma jeunesse, la ville de ma culture et de ma langue, Sfax est la ville de mon inconscient, de mes parents et de mes grands-parents (au-delà, ça se complique lol).

Un jour sur ce Facebook parfois décrié, un ami, le sociologue et journaliste Claude Sitbon a rapporté le “Je me  souviens  de Tunis” d’un monsieur dont je ne connais rien. 


Je l’ai reposté sur mon “mur” et mon père, Léon Masliah, ancien combattant de la guerre d’Algerie, ancien Directeur des Consistoires Israélites de France et de Paris, puits de culture juive et mon papa chéri surtout…qui a vécu à Sfax jusqu’à ses 25 ans révolus a alors répliqué par une première salve salve mémorielle et… Trois ans plus tard, il a repris la plume pour y mettre une suite que j’espère qu’il poursuivra par d’autres savoureuses descriptions qui sont autant de pépites d’un monde d’avant-hier. Je trouve ces souvenirs extrêmement émouvants, drôles et tendres. Souvenirs d’un temps où la cohabitation des cultures et le respect des identités se faisait avec une pointe de recul communautaire qui n’excluait ni le respect ni la convivialité. 

J’ai donc le bonheur de vous livrer les madeleines de Proust, ou les Sfaxiennes  de Léon:

Et moi, je souviens du restaurant de Moumou saghroun

De Phraiem et de ses briks à l’oeuf

 Du fils de Sion La’ma et de ses casse-croutes tunisiens

De Mouchi Touil, de son orgeat

Fes glaces de Claudalain 

Des patisseries de Biondo

Des gâteaux de Descloux

De la kemia du Café de Tunis 

Du café Bartolo avec son olivier planté dans une barrique

De Mouloudji à l’hôtel des oliviers

De la radio du kiosque à journaux fe M. Guez où nous ecoutions l’arrivée des étapes du Tour de France….

Des croissants que vendait madame Cohen au lycée fe jeunes filles

De notre marchand de “brioches-croissants” au lycée de garçons 

Du père d’un écrivain devenu célèbre qui venait après les classes apres-midi nous proposer à domicile ses belles meringues

Et de “Tonino lmalti” qui descendait jusque devany notre maison avec son troupeau de chèvres pour que nous soyions sûrs que le lait etait cacher

Du préposé à la “sdaket chabbat” qui venait tous les vendredis et veilles de fêtes prendre un pain “maison” pour les pauvres

Du restaurant “égyptien” de Nani Khaiat

De Bab Diouane dont la montre que je voyais fe ma fenêtre m’avait permis d’apprendre à lire l’heure. 

Des juifs fumeurs accroupis de part et d’autre de l’entrée de la mosquee en face de chez nous, le samedi soir attendant que le muezzin appelle à la prière du مغرب pour allumer leur première cigarette

Du magasin de Dreyfus que tenaient le père et la mere de Meme Rachel

Du père Sebag chez qui j’achetais les casse-croutes au thon à 2sous (10 centimes) que je n’arrivais jamais à finir

De ma mère qui se levait à l’aube pour petrir le pain avec un Kdessus et que le caouache venait chercher cru et le rapportait cuit.

Des rues Pasteur, Hannibal, de la Synagogue, de Jérusalem, du Mont Sinai grouillant de monde les vendredis et veilles de fetes juives

De Masmoudi chez qui nous allions dépenser lrs sous que nous touchions à Pourim

Du Dr LARCHER qui, muni d’une règle vérifiait en classe que nous n’avions pas de poux

Du coiffeur de mes jeunes années chez qui on me conduisait parce qu’il fermait samedi, alors que son concurrent “la Nuée Bleue” avait des petites voitures pour coiffer les enfants

Du Palais Arabe d’Ettore SAADA 

De l’Harmonie Sfaxienne sous la baguette du Marstro FOURTANIER

Du café “la Renaissance”

Du cinéma REX,

Du cinéma “Colisée ” et du cinéma “Majestic” appartenant à des familles juives

De “Sport et Confort” crée par M. SAMAMA

du Monument aux Morts, rendez-vous des lycéens (matant le passage des lycéennes)

D’OROSDI BAK, boutique de vêtements, de la Maison Modèle”,

De l’école Alexandre Dumas (garçons) et de l’école Massicault (filles), de l’école industrielle, et de l’école de l’Alliance (Israélite Universelle), toutes trois primaires

les Masliah autour du Commandeur

À nos chers disparus de fraîche date, Tante Claire avec mes grands cousins Dolly et André

PS. Je vous livre le commentaire de ma mère à la lecture de ce papier et concernant la réaction de ma grand-mère :

Enfin une minute pour regarder ce que tu as écrit ma chérie. La vieille dame était effectivement très émue de revoir la madame Didi qu’elle avait connu et probablement aimée des dizaines d’années auparavant .Mes parents ont toujours considéré ceux qui travaillaient pour eux comme des amis et égaux Et la réaction de mémé était tout à fait compréhensible. Souvenez-vous qu’elle avait tout perdu en quittant Sfax mais qu’elle était heureuse et ne regrettait.. rien tant que les les siens étaient autour d’elle .Mais sa maison était Sa maison… bisous
Autres références:

Site Harissa

Cyber Sfax (par Pierre, mon frère)

Les souvenirs de mon père sur l’occupation allemande en Tunisie 
En outre, info reçue de mon amie Raoudha Kammoun:

Le film de Fatma Chérif 

“Tunisie, une mémoire Juive” 

va être diffuser sur la chaine HISTOIRE.

La première diffusion a lieu le jour de Kippour (!) le 11 octobre à 20H40 !!!!

la 2é diffusion est le samedi 15 octobre à 16H25

La 3e diffusion est le mercredi 26 octobre 2016 à 7H 20 (!).

Cliquez sur le lien 

…Enfin un film historique sur Les juifs de Tunisie.

Merci de relayer l’information tout autour de vous!

One thought on “Les réminiscences sfaxiennes de Léon

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