
Valentine Monnier assure avoir été poussée à prendre la parole à cause du titre de votre film “J’accuse”. Elle dit n’avoir pas supporté que vous puissiez vous identifier au sort du capitaine Dreyfus. Que répondez-vous ?
Où a-t-elle déniché ça ? Les journalistes m’ont posé trente fois la question, j’ai toujours répondu que jamais je ne m’identifierai à Dreyfus, ce serait grotesque. Les déclarations ont été publiées trois jours avant la sortie du film, mais tout avait été préparé à l’avance. Prémédité. Le journal aurait commencé sa pseudo-enquête en septembre, sans jamais chercher la moindre source qui ne provienne pas de mon accusatrice. Le but recherché était de saboter le film, en oubliant que, en me visant ainsi, on frappe également mon équipe de 200 personnes, le producteur Alain Goldman, tous les acteurs, Jean Dujardin, Grégory Gadebois, Louis Garrel, Emmanuelle Seigner et les nombreux acteurs de la Comédie-Française.

J’ai écrit sur FB que je n’écrirais plus une ligne sur l’Affaire sur l’Affaire…jusqu’à ce matin où j’ai découvert qu’il existait une liste recensant les soutiens à Roman Polanski…. pour les dénoncer aux chiens comme a dit l’autre….
J’en ai plus qu’assez d’entendre des jérémiades des féministes de salon hystérisées. Nous ne sommes pas en guerre contre les hommes ni contre les femmes et notre société n’a pas à devenir un tribunal populaire.

J’adore le cinéaste Polanski et suis sensible à l’histoire très particulière de ce véritable artiste.
Je ne sépare pas l’homme de son œuvre et regrette de n’avoir jamais pu dépasser la dizaine de pages de Céline pour cause de hauts-le-cœur (mais ai vu certaines représentations théâtrales justifiant une admiration pour un style.. particulier.)

J’aime énormément Woody Allen tout en trouvant curieux qu’on puisse s’éprendre d’une femme dont on a jadis changé les couches et qui vous a appelé Papa…
Je reconnais refuser à titre personnel de voir sur scène un Bertrand Cantat quelque soit la manière dont il a tué sa femme, mais je ne lui dénie pas le droit à se produire sur scène pas plus que je ne m’offusque que d’autres aillent le voir, au premier rang desquels certains de ceux qui lapident médiatiquement Polanski qui n’a tué personne… bien au contraire !
Il m’est de même insupportable de savoir qu’en 2020 tant de femmes périssent sous les coups de conjoints violents. Il est intolérable d’entendre les cris de colère des femmes mexicaines et indiennes ! Il est temps de boycotter tout pays qui ne prend pas la mesure de la gravité des crimes envers les femmes….
Mais l’Europe en général et la France en particulier ont des législations bien en place et doivent simplement secouer les derniers bastions machistes et leur faire savoir que les femmes rendront, par la loi, coup pour coup… par la loi, pas sur la place publique !
Je ne veux pas m’ériger en quoi que ce soit d’autre qu’en femme, mais c’est déjà beaucoup, et …rappelle qu’on n’a pas attendu Polanski pour porter plainte pour viol…!

J’accuse les accusatrices de se tromper de coupable et de faire de Polanski un bouc-émissaire …
J’accuse ses détracteurs d’oublier que le film qu’ils dénoncent rappelle une histoire exemplaire…
J’accuse ceux qui ont opportunément déclenché la polémique d’avoir sciemment tenté de museler un excellent film.
J’accuse ceux et celles qui refusent par idéologie de voir ce film de saboter un travail remarquable de toute une équipe cinématographique pour l’Histoire.
J’accuse cette campagne d’avoir des relents poujadistes pour ne pas dire antisémites tant envers le sujet de l’Affaire Dreyfus que l’objet de leur courroux (Polanski)
J’accuse les ministres français Riester, Schiappa et Ndiaye qui ont fait partie de la horde d’êtres lâches et de m’avoir ainsi forcée à remettre en cause mon appartenance au mouvement En Marche.
Je salue enfin les courageuses « sopranos du Barreau » qui ont répondu à une écrivaine… vaine « On se lève, on proteste, on plaide » comme l’une d’entre elles, Marie Dausé, l’a rappelé le 9 mars au micro de Léa Salamé et je reposte ici leur tribune dans le Monde daté du 10 mars 2020. Elle vaut tous les discours et je peux désormais me taire…

Le sacrifice d’un homme à l’aune d’une cause
Plus d’une centaine d’avocates pénalistes de France, se revendiquant féministes, rappellent les principes de la présomption d’innocence et de la prescription, qui doivent s’appliquer, selon elles, au cas Polanski
La véhémente polémique qui a suivi la 45e cérémonie des Césars nous oblige, nous qui sommes tout à la fois femmes, avocates et pénalistes : femmes évoluant dans un milieu où se bousculent nombre de ténors pour qui l’adage « pas de sexe sous la robe » n’a guère plus d’effets qu’un vœu pieux ; avocates viscéralement attachées aux principes qui fondent notre droit, à commencer par la présomption d’innocence et la prescription ; pénalistes confrontées chaque jour à la douleur des victimes mais aussi, et tout autant, à la violence de l’accusation.
Nous ne sommes donc pas les plus mal placées pour savoir combien le désolant spectacle de la surenchère oratoire, et la déraison dont elle témoigne, ne peuvent conduire qu’au discrédit de justes causes.
On se pique d’avoir à le rappeler, mais aucune accusation n’est jamais la preuve de rien : il suffirait sinon d’asséner sa seule vérité pour prouver et condamner. Il ne s’agit pas tant de croire ou de ne pas croire une plaignante que de s’astreindre à refuser toute force probatoire à la seule accusation : présumer de la bonne foi de toute femme se déclarant victime de violences sexuelles reviendrait à sacraliser arbitrairement sa parole, en aucun cas à la « libérer ».
Roman Polanski a fait l’objet de plusieurs accusations publiques, parmi lesquelles une seule plainte judiciaire qui n’a donné lieu à aucune poursuite : il n’est donc pas coupable de ce qui lui est reproché depuis l’affaire Samantha Geimer. Quant à cette dernière, seule victime judiciairement reconnue, elle a appelé à maintes reprises à ce que l’on cesse d’instrumentaliser son histoire, jusqu’à affirmer : « Lorsque vous refusez qu’une victime pardonne et tourne la page pour satisfaire un besoin égoïste de haine et de punition, vous ne faites que la blesser plus profondément. » Et d’ajouter dans cette interview sur Slate que « la médiatisation autour de tout cela a été si traumatisante que ce que Roman Polanski m’a fait semble pâlir en comparaison ». Au nom de quelle libération de la parole devrait-on confisquer et répudier la sienne ?
Cette cérémonie en hommage à la « grande famille du cinéma », lors de laquelle Roman Polanski fut finalement plus humilié que césarisé, contribuera donc à blesser un peu plus celle qui, en vain et depuis plus de quarante ans, tente de tourner la page d’une histoire qui, de fait, n’est plus la sienne. Au nom de quel impératif, voire de quel idéal victimaire, cette victime est-elle sacrifiée ?
Il est urgent de cesser de considérer la prescription et le respect de la présomption d’innocence comme des instruments d’impunité : ils constituent les seuls remparts efficaces contre un arbitraire dont chacun peut être la victime. Il n’est pas de postulat plus dangereux que celui selon lequel toute mémoire serait vertueuse et tout oubli condamnable. Homère le savait bien, pour qui « la prescription interdit à l’homme mortel de conserver une haine immortelle ».
La pire des aliénations n’est donc pas l’amour mais bien la haine, et nous autres, avocates pénalistes, connaissons trop bien les ravages qu’elle produit sur des parties civiles qui, espérant surmonter leur traumatisme en s’arrimant à leur identité de victime, ne font en réalité que retarder un apaisement qui ne vient jamais qu’avec le temps.
Contre le tribunal de l’opinion
Il est faux d’affirmer que l’ordre judiciaire ferait montre aujourd’hui de violence systémique à l’endroit des femmes, ou qu’il ne prendrait pas suffisamment en considération leur parole.
Nous constatons au contraire, quelle que soit notre place à l’audience, qu’une inquiétante et redoutable présomption de culpabilité s’invite trop souvent en matière d’infractions sexuelles. Ainsi devient-il de plus en plus difficile de faire respecter le principe, pourtant fondamental, selon lequel le doute doit obstinément profiter à l’accusé.
Le 4 novembre 2019, Adèle Haenel déclare à Mediapart : « La situation de Polanski est malheureusement un cas emblématique parce qu’il est le représentant de la culture. (…)Si la société elle-même n’était pas aussi violente vis-à-vis des femmes (…), la situation de Polanski n’aurait pas ce rôle. » Belle illustration du sacrifice d’un homme à l’aune d’une cause qui, de ce fait, perd une part de sa légitimité.
Tweet après Tweet, hashtags après hashtags, ce que nous sentons monter a de quoi alarmer tout démocrate, et nous alarme d’autant plus que nous en percevons déjà les méfaits : le triomphe du tribunal de l’opinion publique.
En un clic et dans un mouvement de surenchère assez malsain, des femmes n’hésitent plus à s’autoproclamer victimes pour accéder à un statut qui induit l’existence de bourreaux tout désignés. Dès lors, pour peu que la justice soit convoquée et qu’elle les innocente, lesdits bourreaux seront doublement coupables d’avoir su échapper à une condamnation.
Nous sommes féministes mais ne nous reconnaissons pas dans ce féminisme-là, qui érige une conflictualité de principe entre hommes et femmes. Sopranos du barreau, nous réussissons chaque jour un peu mieux à imposer notre voix à nos ténors de confrères qui finiront bien par s’y habituer – eux qui, après tout, portent aussi la robe…
Femmes, nous voulons rester libres d’aimer et de célébrer publiquement les œuvres et les auteurs de notre choix. Avocates pénalistes enfin, nous lutterons à chaque instant contre toute forme d’accusation arbitraire qui, presque mécaniquement, pousse au lynchage généralisé.
Parmi les signataires : Delphine Boesel, barreau de Paris ; Marie-Alix Canu-Bernard, barreau de Paris ; Françoise Cotta, barreau de Paris ; Marie Dosé, barreau de Paris ;Corinne Dreyfus-Schmidt, barreau de Paris ;Emmanuelle Kneuze, barreau de Paris ;Delphine Meillet, barreau de Paris ; Clarisse Serre, barreau de Bobigny.Retrouvez la liste des signataires sur Lemonde.fr
Références:
Emission Répliques sur le Colonel Picquart
Affaire Dreyfus: Dimension politique sur France Culture
Colonel Picquart, antisemite et opportuniste sur France Culture
Réaction de Lambert Wilson dans le Huff Post
Tribune à charge de Virginie Despentes
La seule victime de Polanski aux yeux de la loi.
La plainte ne suffit pas (Le Point)
Article de Mathieu Delaveau dans Médiapart qui évacue presque totalement la dimension du film J’accuse.
Artemisia Gentileschi
Dans ce procès pour viol qui se tient à Rome en 1612, la victime est Artemisia Gentileschi, fille du peintre Horatio Gentileschi ; l’accusé, Agostino Tassi, disciple de ce dernier ; et le plaignant, Horatio Gentileschi lui-même. Configuration trop exemplaire, et scène trop privée, pour ne pas susciter le plus baroque des procès, où tout s’exhibe sans que rien ne se dévoile. Sinon, peut-être, une unique loi : loi de violence que deux hommes, à l’envi, voulurent graver sur le corps, l’être et l’existence d’une femme.
Plus tard, Artemisia, peintre accomplie au génie parfaitement maîtrisé, et célébrée comme telle, évaluera, dans un de ses tableaux les plus cruellement réalistes, le juste prix de cette violence, de ce dommage physique et symbolique : c’est la décapitation d’Holopherne, à laquelle deux femmes, cette fois, œuvrent du même geste barbare et nécessaire.Actes d’un procès pour viol, Traduit du latin par Laetizia Marinellei et de l’italien par Marie-Anne Toledano
Bravo Daphné, suis tout à fait d’accord !
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Merci Jasna !
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merci Daphné, ça remet l’église au milieu du village et la synagogue au milieu du shtetl
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Et la mosquée au milieu de la Médina 😂😘
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Merci Daphné, c’est clair et surtout dénué du brouillard de haine qui plane autour de toute cette affaire.
Tu nous manques mais le web nous rapproche 🌸🙂❤
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Merci ma chère grande amie !
Il est agréable de réaliser que nous ne sommes pas amies par hasard mais par affinités électives, comme du reste Ingrid et Jasna!
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je souscris évidemment !
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