Quality time at home

It’s been a year since I last posted an article on this blog. It’s not that I didn’t have anything to write or say, but what I was witnessing was so disarming and puzzling that I took refuge into beauty and art.

Hendrik van der Burgh Delft 1627 – 1666 ou après), a painting, I discovered at the remarkable exhibition of the Custodia foundation last spring. Le Marché aux légumes avec vue sur le Stille
Rijn à Leyde, après 1658
Huile sur panneau
Monogrammé en bas au centre : HdB
Leyde, Museum de Lakenhal

However, if I sometimes miss celebrating the New Year, I hardly ever miss the lunar one. Probably because I have too much to do at either the Jewish or the Christian celebrations or maybe because there’s spring in the air…

The world is in shambles and nevertheless, in quiet Switzerland, we enjoy pretty much the same way of life.

Πάντα Ρέι: « nous ne sommes pas en première ligne nous, nous sommes seulement aux premières loges. ».Alain Finkielkraut, Émission Répliques du 4 février 2023.

I’m not going be very original in stating that I’ve experienced a very uneasy feeling since October 7.

El Greco, Christ on the Cross with a view of Toledo, 1605, Cincinnati Art Museum (seen at the Milano exhibition of the Palazzo Reale, Jan. 2024)

As soon as I heard the news of the massacre of innocent peace lovers in a leftist kibbutz and along a border I don’t need to name, I knew that the whole world – which, obviously doesn’t care as much about Ukraine, Sudan, Africa plagued with dictatorships and Russian militia – would start blaming Israel for its very existence and the Jews for supporting Israel. Well, seeing how quickly Jews in general throughout the world started being easy targets for the lesson givers, you have to admit that it stands to reason.

France against antisemitism demonstration

I’m not going to dwell much on it, because much has been written by many elegant souls and enlightened people and all I have to say is that if the world really wanted Israel to make peace with its enemies, it should not have let the situation get rotten the way I’ve been describing it over and over in my JCall pages. Here are my notes of a debate that sums it up:

Barnavi, Elie, Jean-Pierre Filiu, David Chemla, and Alain Rozenkier. “Quels scénarios pour le “jour d’après”.” In.JCall, Zoom

Elie Barnavi (EB, historien) et Jean-Pierre Fili(JPF, prof Science Po Paris, spécialiste du moyen-orient). Débat animé par David Chemla (DC).

Scénarios militaires: Est-ce un échec?
EB: échec ou réussite…tout ceci dépend de la perspective. Les buts de guerre ont été très mal définis pour deux raisons:
– de manière absolutiste: détruire le Hamas jusqu’au dernier combattant, ramener tous les otages. Cette approche s’explique suite à l’énormité inouïe de cette faillite sur le territoire souverain d’Israël. On a même parlé de déradicalisation, ce qui n’est pas possible dans une guerre asymétrique de ce type. 
– Pour l’armée régulière, le fait de ne pas détruire complètement est une défaite alors que pour les terroristes (“la partie faible) le fait qu’Israël n’y soit pas parvenu est une réussite.
3 phases:
– bombardement aérien
– phase terrestre se poursuit dans le sud et on ne sait pas ce qu’il va advenir du couloir “de philadelphie”
– 3ème phase plus focalisée avec des unités de commandos pour localiser les otages

Pas un franc succès pour les israéliens même si ce n’est pas un échec total car on n’a pas la moindre idée des suites de cette guerre. 

La déception est à la mesure des anticipations initiales. Certes, on peut démanteler le Hamas dans ses capacités militaires et politiques mais cela ne signifie pas sa disparition pour autant.

JPF: ne veut pas être réduit à un éclairage sur les questions palestinienne, mais le Hamas a mené Israël là où il voulait. C’est un piège qui s’est parfaitement refermé à Gaza. Le 7 octobre à 14:00 je me trouvais à Blois pour parler de l’Israël de Netanyahu. J’étais alors convaincu de l’ampleur sans précédent pour les deux peuples. André Comte-Sponville m’invite pour parler du moyen-orient en 2050, le 11 octobre j’annonçais que s’annonçait une guerre de longue haleine. La rhétorique martiale n’est pas suffisante pour gagner une guerre.
15 guerres, toutes gagnées par Israël militairement mais perdues politiquement sauf la dernière intifada qui avait débouché sur les Accords de Genève.

Israël a gagné contre la population…tout cela ne prépare pas de lendemains qui chantent tout comme l’irréparable désastre du 7 octobre. Du point de vue militaire, je doute que le Hamas ait subi des coups décisifs. 
La population de Gaza n’est en rien consultée par le Hamas. 
==> piège. Ne pas détruire le Hamas mais détruire Gaza n’est pas la solution. 
On essaie de préserver les militaires israéliens et la situation est totalement inédite. Je rejoins la conclusion d’EB face à des buts de guerre incertains. Aucun horizon politique en vue. Militarisme exacerbé. Questions inévitables: quel futur reconstruire? Le Hamas n’entend pas perdre sa rente. 
Le vote de 2006 qui a permis au Hamas de remporter les élections si Mahmoud Abbas n’avait pas changé les règles du jeu. Hamas voulait un grand échange des otages contre tous les prisonniers en Israël.

EB: Si Sinouar avait l’intention de remettre la question palestinienne sur la table, il a gagné, par contre, s’il entendait entraîner ses alliés, il a raté son coup car le Hezbollah fait le service minimum. Le Hamas n’a pas vraiment gagné. Il est trop tôt pour tirer un bilan. Israël n’acceptera pas que le Hamas survive. Celui-ci appartient désormais au passé. Comment transformer l’essai, là est toute la question politique?

JPF: Bien sûr, le Hamas n’a pas vraiment gagné, mais il n’avait pas l’intention d’entraîner ses alliés dans la guerre. Ceci est le discours de Netanyahu…La direction politique du Hamas exilé n’a rien à voir avec le Hamas sur le terrain. Cette direction n’a rien à voir avec les gens à l’intérieur de Gaza et l’Iran et son ayatollah ont été furieux de ne pas avoir été avertis, mais même leur direction politique (du Hamas) n’a pas été informée. En 2006, le Hezbollah avait ouvert  un deuxième front sans que cela change la donne politique. 

EB Exact sur ce dernier point. 

DC: Aspect politique? La donne a-t-elle changé? Netanyahu entend-t-il poursuivre la guerre pour éviter des conséquences pénales pour lui? Malgré l’Union nationale qui soutient l’armée de la droite à la gauche et le traumatisme à longueur de journée sur la TV israélienne, observe-t-on une brêche quant aux otages, puisqu’on sent une divergence entre Netanyahu et Ganz. Cela se traduit-il dans la politique intérieure.

EB: L’unanimisme guerrier bénéficie au leader en place normalement, mais ce n’est pas le cas cette fois. Rejet massif de Netanyahu et de son gouvernement même si lui fera tout pour se maintenir au pouvoir. Dès la fin des hostilités, on va retrouver cette situation de guerre civile latente. Netanyahu est sur le départ et le discours ambiant monte en puissance pour exiger d’arrêter les combats pour récupérer les otages. 
Sans pression internationale très forte, nous n’y parviendrons pas. L’Arabie saoudite aura un rôle essentiel, elle était en voie de normalisation et dit qu’elle ne continuera pas sur le dos des Palestiniens. Urgence à retrouver la solution à deux états et Israël ne pourra pas y résister. Suis-je optimiste?

JPF: Nous partageons cette perspective d’impliquer un engagement européen plus important: “le destin de l’Europe se jouera à Gaza”. Trois prédateurs politiques, Poutine, Trump et Netanyahu ont intérêt à poursuivre ce conflit.  Plus le conflit dure, plus les divisions s’aggravent et Poutine et Netanyahu misent sur le retour de Trump. Netanyahu, certes, est un zombie comme le dit Elie, mais c’est un zombie agissant et la vraie variable est la variable européenne. Je suis convaincu qu’on ne peut sortir que par le haut. 
Victoire du Hamas ne se fera qu’au détriment au peuple palestinien!

EB: Netanyahu a mangé son pain blanc le 7 octobre. Le Hamas et Netanyahu ont été des alliés objectifs. Il a maintenu et renforcé le Hamas au pouvoir: “tondre la pelouse” avec des valises de dollars du Qatar. Ses amis l’ont dit de manière non ambiguë. Le roi est nu. En face, l’ensemble du monde est aligné sur la solution à deux Etats. On ne peut pas compter sur l’Union Européenne, en revanche les Américains sont plus à même d’agir mais eux aussi ont le problème de Trump mais ce dernier est capable de tout, y compris dire à propos de Netanyahu: “fuck him” et il peut changer casaque sur le proche-orient, mais qui a envie de changer casaque.

DC: Israéliens et la question à deux Etats? Les sondages sont plutôt contre…

EB: Je n’accorde aucun crédit à ces sondages. Si un gouvernement déterminé était au pouvoir comme lors des accords d’Oslo, la majorité des israéliens serait derrière eux.

JPF: D’accord, mais là aussi, il faut aller vers un processus qui, d’emblée, définisse un statut final! Comment organiser une forme de séparation? C’est le retrait unilatéral de Sharon en 2005 qui a fait le lit du désastre actuel. L’OLP, soit Bargut
ti (et pas l’Autorité Palestienne Abbas) doit être le seul représentant du peuple palestinien et le représenter. Revenons aux fondamentaux de 93 et les deux accords d’Oslo pour progresser vers une solution durable. Barguti pourrait tout de même décevoir à sa libération malgré ses positions fermes en faveur de deux Etats. C’est la seule personalité palestinienne à pouvoir détenir une légitimité nationaliste face à Abbas et au Hamas. 

EB: La distinction entre OLP et Autorité Palestienne est effectivement très importante. Quant à Oslo et ses fondamentaux. Il n’a pas échoué, il a été assassiné: deux énormes défauts, ne pas imposer un but final à savoir un Etat Palestinien et manque de monitoring international. 

DC: Palestiniens israéliens? quelle attitude et sentiment d’appartenance d’après les sondages? Plus grande adhésion à l’Etat d’Israël depuis le 7 octobreselon l’Institut de la Démocratie Israélien.

EB: Cette attitude est la divine surprise de cette guerre. Cela n’est pas une vague patriotique mais une véritable adhésion au corps national, en partie car des arabes israéliens ont été des victimes du 7 octobre et ils savent ce qui s’est réellement passé le 7 octobre. Malgré Itamar Ben Gvir qui a tout fait pour allumer la guerre civile contre eux, il faut le noter. 

JPF: Périodisation: l’escalade vers l’épouvante du 7 octobre a commencé en 2021, escalade militaire à Gaza, émeutes intercommunautaires en Israël. Sinouar a “enfumé” Netanyahu qui avait refusé de réagir à un moment pour préserver son opération. Le hamas agit pour son intérêt propre, pas pour le bien de Gaza, ce qui explique son rejet par les Israéliens.

DC: Quid de l’Iran? Peut-on évacuer le risque qu’il élargisse le conflit?

JPF: les Houthis ne sont pas intégrés dans la chaîne des gardiens de la Révolution comme le Hezbollah. Ce sont des fanatiques honnêtes. Ils y croient vraiment. Sur tous leurs bandeaux TV ils indiquent “Mort à Israël, mort aux USA”. Le fait d’avoir été bombardés par l’Amérique est une fierté. L’Arabie Saoudite fera tout pour que cela ne déborde pas.

EB: Sentiment réel d’encerclement de tout côté en Israël, sensation désagréable mais probablement exagérée. Qui avait entendu parler des Houthis auparavant? 
Les Américains ont été acculés à tirer. En Israël, on considère ces Houthis comme un problème international et non national.

DC: Colonisation? Quel leader Israélien pour la suite? Quel type de plan pour le jour d’après?

EB: La présence des colonies est un énorme problème, moral, national, religieux. 80% des colons sont concentrés sur l’ancienne ligne verte qui devra être annexée à Israël dans tous les accords. Il reste 120’000 colons dont une grosse minorité est idéologique et certains parmi eux sont lourdement armés qui laisse présager d’une guerre civile à venir. A Gaza on en a eu un aperçu mais ils étaient 8000…Le candidat le plus évident pour succéder à Netanyahu, bien qu’il ne soit pas pas une “flèche” est Benny Ganz, il est un honnête homme et il comprend très bien l’importance des Américains. Alors que Netanyahu roule pour lui-même et d’après lui, tenir tête aux USA est un bon signal pour sa base. L’exigence d’un cessez-le-feu a pris la dimension d’une opposition à Israël mais nous n’avons plus grand-chose à gagner à continuer la guerre. Il faut mobiliser la communauté internationale. JCall s’honorerait à dire que ce qui se passe de l’autre côté de la barricade ne nous est pas indifférent et il ne faut 

JPF: Je partage ces conclusions. Cf mon livre à sortir le 9 février:  Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n’a pas gagné: Histoire d’un conflit (XIXe-XXIe siècle), le Seuil.

EB: Pour l’arrêt immédiat de la guerre. Il y a deux semaines, ma réponse aurait été différente…

135 days later, here’s my friend Liza Rosenberg’s post on Facebook :

Today is the 135th day of the war, and if you follow other Israelis or Jews online, you may have seen posts stating things like, “today is October 135th”. For many people, it seems that the brutal Hamas massacre—families burned alive, women and girls violently raped and sexually assaulted, individuals tortured, people abducted—has somehow become an irrelevant footnote, conveniently pushed aside and forgotten as though it never happened – indeed, I keep coming across individuals who believe that. Israelis, however, are still in agony – still processing what happened on the darkest day we’ve ever known as a country and everything that’s happened since. The sharpest, most jagged edges of this collective pain and grief may have dulled during the ensuing four months, but Israel is still very much a nation in mourning.
More than 100,000 Israelis are still internally displaced – both survivors from the Gaza envelope communities and Israelis living in Northern border communities forced to evacuate due to extensive Hezbollah shelling (did you know that Israelis are being wounded and killed up north as well?). No one knows when any of them will be able to return – in many of these communities, the damage is extensive and will require rebuilding.
Hardly a week goes by when authorities don’t confirm the deaths of even more Israelis – some were hostages who were either killed or died in captivity, while others were murdered on October 7th and their bodies taken to Gaza, ostensibly to be used as bargaining chips by Hamas (though that might be the best case scenario). With regard to the latter, these are people who were assumed to have been abducted and whose names were on the list of the kidnapped. We found out a few weeks ago that a boy who was in preschool with our son was one of the soldiers murdered on October 7th. His body is being held by terrorists in Gaza. Four nearly four months, his parents had absolutely no idea what happened to him – if he was alive or dead. Now they know, but how much comfort can there be in not being able to bury the body of their child – in knowing that terrorists may have done unthinkable things to him both before and after they killed him? Can you imagine?
The Israel that we have become since October 7th is very different from the Israel that existed before that day. After four months, we still don’t know how to casually ask people how they’re doing in a tone that doesn’t sound slightly tinged with an apology for asking – nor do we know how to answer in a way that sounds simple. We often question whether we should do things that bring us joy or make us laugh. I made a quick trip to the US in January for a family wedding, and this is the first time I’ve posted about it publicly. It didn’t feel appropriate to do so against the backdrop of everything happening in Israel – to post photos (though I hardly took any) or share my adventures (such that they were), or even to mention that I was taking a vacation, albeit for a family event that I’d been looking forward to for many months.
The past four months have been exhausting. Israelis know how to fight in a war, but make no mistake. We didn’t want this war. We don’t want this war. We do not want our children, our partners, our loved ones, our friends, our colleagues, our acquaintances, our neighbors to die. We don’t want innocent Palestinians to die.
In terms of what we do want, there are two things that most if not all can Israelis agree upon. We want our hostages back, and we want Hamas to be so incapacitated that they are unable to brutalize us ever again. Make no mistake – I want Hamas to be destroyed. With that, I’d be lying if I said I’m completely convinced that these things are attainable, and I worry that the situation will become much worse before there’s even a chance that it will get better.
I believe that we have come this far in spite of our government – not because of it. I don’t trust our ruling coalition, nor do I believe they are capable of—or even interested in—doing what’s best for the country. I fear there is no endgame, nor plans for the day after – not in any practical, executable terms. I’m concerned that we are pushing our friends away, that the extremists running the country and the malevolent narcissist at the top (it’s hard for me to call him a leader, as he doesn’t seem to be leading) are being so short-sighted and selfish that we will become even more isolated and hated than we are now – especially (but not only) if we don’t reign in our own extremists, whether they’re in the government or attacking Palestinians in the West Bank.
People outside of Israel talk about a ceasefire, as though it will somehow bring resolution. But a ceasefire would be like a Band-Aid on a gaping, bloody wound. The bleeding would stop for a little while, but for how long? Until the next time Hamas decides to goad us or attack us as they did on October 7th, breaking a ceasefire that was in place until that moment? What about the hostages? Do we just abandon them and leave them to their fate, people of all ages who are most certainly being tortured and abused, according to those who have been released? And of course, we are still dealing with Hezbollah in the north, wondering when their aggressive actions will drag us into a war with them as well – especially since no one besides Israel seems to care that they’ve been firing rockets at us since October 8th, causing internal displacement, extensive damage and several deaths.
So where does this leave us? I want the war to be over. I wish it could be, though I’m not sure how that can happen. Not now. It’s October 135th, and there are no lights at the end of the tunnels.

I hope this gives you a full picture. I actually responded

Dear Liza Rosenberg, may I reproduce your post on my blog? Feel absolutely free to say no or to provide me with a link to your blog a big hug in any case. At least you’re in Israel and not constantly being assaulted by ignorant pricks from both sides trying to educate you…..

… which she gratefully accepted.

I now form my wishes that I will be allowed more time to write and give some highlights on my “Coups de Cœur ” and will start ASAP with what the world has meant to me in terms of art and beauty for the past year.

Happy year of the wooden dragon, may it bring the peace and stability this poor world badly needs, and for this may it bring some common sense and longsight to politics as opposed to the very narrow visions created by some chaos engineers as Giuliano da Empoli has put it so cleverly (thanks, Ingrid for literally putting the book into my hands!):

Giuliano da Empoli, Les ingénieurs du chaos, Édition de Poche (2023)


21: Dans le monde de Donald Trump, de Boris Johnson et de Jair Bolsonaro, chaque jour porte sa gaffe, sa polémique, son coup d’éclat. On a à peine le temps de commenter un événement qu’il est déjà éclipsé par un autre, dans une spirale infinie qui catalyse l’attention et sature la scène médiatique. Face à ce spectacle, la tentation est grande, pour bien des observateurs, de lever les yeux au ciel en donnant raison au Barde : le temps est sorti de ses gonds ! Pourtant, derrière les apparences débridées du Carnaval populiste, se cache le travail acharné de dizaines de spin doctors, d’idéologues et, de plus en plus souvent, de scientifiques et d’experts en Big Data, sans lesquels les leaders populistes ne seraient jamais parvenus au pouvoir.
Ce livre raconte leur histoire.

22-23: C’est l’histoire de Dominic Cummings, le directeur de la campagne du Brexit, qui affirme : « Si vous voulez faire des progrès en politique, n’employez pas des experts ou des communicants, utilisez plutôt des physiciens. » Grâce au travail d’une équipe de scientifiques, Cummings a pu cibler des millions d’électeurs indécis dont ses adversaires ne soupçonnaient même pas l’existence, en leur adressant exactement les messages qu’il fallait, au moment où il le fallait, pour les faire basculer dans le camp du Brexit.
C’est l’histoire de Steve Bannon, l’homme-orchestre du populisme américain, qui, après avoir conduit Donald Trump à la victoire, rêve aujourd’hui de fonder une Internationale populiste pour combattre ce qu’il appelle le « parti de Davos » des élites globales.
C’est l’histoire de Milo Yiannopoulos, le blogueur anglais grâce à qui la transgression a changé de camp. Si, dans les années 1960, les gestes de provocation des contestataires visaient à atteindre la morale commune et à briser les tabous d’une société conservatrice, aujourd’hui les nationaux-populistes adoptent un style transgressif en sens inverse : casser les codes de la gauche et du politically correct est devenu la première règle de leur communication.
C’est l’histoire d’Arthur Finkelstein, un homosexuel juif de New York qui est devenu le plus efficace conseiller de Viktor Orban, le porte-drapeau de l’Europe réactionnaire, engagé dans un combat sans merci pour la défense des valeurs traditionnelles.

Tous ensemble, ces ingénieurs du chaos sont en train de réinventer une propagande adaptée à l’ère des selfies et des réseaux sociaux et, ce faisant, ils transforment la nature même du jeu démocratique. Leur action est la traduction politique de Facebook et Google. Elle est naturellement populiste car, comme les réseaux sociaux, elle ne supporte aucun type d’intermédiation et place tout le monde sur le même plan, avec un seul paramètre de jugement : les like. Elle est indifférente aux contenus parce que, comme les réseaux sociaux, elle a un seul objectif : celui que les petits génies de la Silicon Valley appellent « engagement » et qui, en politique, signifie adhésion immédiate.
Si l’algorithme des réseaux sociaux est programmé pour offrir à l’utilisateur n’importe quel contenu susceptible de l’attirer un peu plus souvent et un peu plus longuement sur la plateforme, l’algorithme des ingénieurs du chaos les pousse à soutenir n’importe quelle position, raisonnable ou absurde, réaliste ou intergalactique, à condition qu’elle intercepte les aspirations et les peurs
— surtout les peurs — des électeurs.

26-27: La vie n’est pas faite que de droits et de devoirs, de chiffres à respecter et de formulaires à rem-plir. Le nouveau Carnaval ne cadre pas avec le sens commun, mais il a sa propre logique, plus proche de celle du théâtre que de la salle de classe, plus avide de corps et d’images que de textes et d’idées, plus concentrée sur l’intensité narrative que sur l’exactitude des faits. Une raison certes très éloignée des abstractions cartésiennes, mais pas non plus privée d’une cohérence inattendue, en particulier en ce qui concerne sa manière systématique de renverser les normes consolidées pour en affirmer d’autres de signe opposé.
Derrière l’apparente absurdité des fakes news et des théories du complot se cache une logique bien solide. Du point de vue des leaders populistes, les vérités alternatives ne sont pas un simple instrument de propagande. Contrairement aux vraies informations, elles constituent un formidable vecteur de cohésion. « Par de nombreux côtés, les absurdités sont un instrument organisationnel plus efficace que la vérité, a écrit le blogueur de la droite alternative américaine, Mencius Moldbug.
N’importe qui peut croire à la vérité, tandis que croire dans l’absurde est une vraie démonstration de loyauté. Et qui a un uniforme, a une armée. »
Ainsi le leader d’un mouvement qui intègre les fake news dans la construction de sa propre vision du monde se détache du lot commun. Ce n’est pas un bureaucrate pragmatique et fataliste comme les autres, mais bien un homme d’action, qui bâtit sa propre réalité pour répondre aux attentes de ses disciples. En Europe comme ailleurs, les mensonges ont la cote car ils sont insérés dans une narration politique qui capte les peurs et les aspirations d’une part croissante de l’électorat, tandis que les faits de ceux qui les combattent sont insérés dans un récit qui n’est plus jugé crédible. En pratique, pour les adeptes des populistes, la véracité des faits pris un par un ne compte pas. Ce qui est vrai, c’est le message dans son ensemble, qui correspond à leur expérience et à leurs sensations.
Face à cela, il est inutile d’accumuler les données et les corrections, si la vision d’ensemble des gouvernants et des partis traditionnels continue d’être perçue par un nombre croissant d’électeurs comme peu pertinente par rapport à la réalité.
Pour combattre la vague populiste, il taut commencer par la comprendre et ne pas se borner à la condamner, ni la liquider comme un nouvel « Âge de la Déraison », comme le fait George Osborne, l’ancien chancelier de l’Échiquier de David Came-ron, dans le titre de son dernier livre. Le Carnaval contemporain se nourrit de deux ingrédients qui n’ont rien de déraisonnable : la rage de certains milieux populaires qui se fonde sur des causes sociales et économiques réelles; une machine de communication surpuissante, conçue à l’origine pour des fins commerciales, devenue l’instrument privilégié de tous ceux qui veulent multiplier le chaos.
33: (…) parmi ceux qui courent dans le circuit des populistes souverainistes, peu ont le cerveau, l’expérience et les relations de Bannon. Ainsi, en l’espace de quelques mois, une perspective encore plus ambitieuse s’est présentée à lui : « Ce que je veux, a-t-il déclaré en mars au correspondant romain du New York Times, c’est construire une infrastructure globale pour le mouvement populiste global. Je l’ai compris quand Marine Le Pen m’a invité au congrès de son parti à Lille. “Que veux-tu que je dise?” lui ai-je demandé. “Dis que nous ne sommes pas seuls”, , a-t-elle répondu. » C’est à ce moment-là que Bannon a compris que l’espace pour un oxymore existait, l’Internationale des nationalistes, une plateforme conçue pour mettre en commun les expériences, les idées et les ressources entre les différents mouvements actifs en Europe et en Amérique. « Nous sommes du bon côté de l’Histoire. Même George Soros l’a dit, il y a quelque temps, nous vivons des temps révolution-naires… »
Soros, le milliardaire hongrois qui a financé des mouvements démocrates dans le monde entier avec son Open Society, est à la fois la bête noire et le rêve interdit des nouveaux populistes globaux. « Il est brillant, admet Bannon. Malfaisant mais brillant. »

40: nie culturelle dans le pays.
Des partis xénophobes de droite existent plus ou moins partout en Europe, avec des taux d’adhésion similaires ou même supérieurs à celui de la Ligue avant le printemps 2018. Mais ils n’atteignent pas la majorité et, en général, ils ne trouvent pas d’alliés disposés à gouverner avec eux. En Italie, sans l’algorithme postidéologique du Mouvement 5 Étoiles, qui a récolté un tiers des voix des Italiens aux élections grâce à une plateforme sans aucun contenu politique et donc prête à être utilisée par n’importe qui pour arriver au pouvoir, Salvini n’aurait pas aujourd’hui le rôle qu’il a.
Ce qui fait encore une fois de l’Italie la Silicon Valley du populisme, c’est qu’ici, pour la première fois, le pouvoir a été pris par une forme nouvelle de techno-populisme postidéologique, fondé non pas sur les idées mais sur les algorithmes mis au point par les ingénieurs du chaos. Il ne s’agit pas, comme ailleurs, d’hommes politiques qui engagent des techniciens, mais bien de techniciens qui prennent directement les rênes du mouvement en fondant un parti, en choisissant les candidats les plus aptes à incarner leur vision, jusqu’à assumer le contrôle du gouvernement de la nation entière.

May the Dragon then burn to ashes those malefic engineers’ schemes and may the silent decent majority finally voice its disgust instead of looking elsewhere!

Happy Lunar year!

Finally getting back to my lovely island has enabled me to have the closest encounter with my beloved GM whales
Revisiting my last pre-Covid delight

References:

The much regretted Robert Badinter’s legacy regarding Israel (JCall interview March 2023)

Emission Répliques avec Giuliano da Empoli (4 février 2023)

One response to “The Year of the Dragon”

  1. […] during lunch, that one of the very last voices against the Putinian regime I had mentioned in my previous post by quoting Giuliano Da Empoli’s Chaos Engineers, would no longer be […]

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